
Futurs actifs agricoles
Radiographie d’une jeunesse iséroise sans complexe
Une équipe de la MSA Alpes du Nord a suivi pendant une année des élèves et des apprentis au lycée agricole de La Côte-Saint-André, dans l’Isère. Le but : comprendre leurs problématiques de futurs jeunes actifs, les informer sur leurs droits mais aussi changer leur regard sur leur régime de protection sociale agricole. De cette rencontre est née une pièce de théâtre, intitulée Je gère !, donnée en représentation le 7 avril dernier dans l’établissement.
« Compliquée. Inutile. Coûteuse. » Poser la question de leur vision de la protection sociale à des étudiants qui entrent ou vont entrer dans la vie active, c’est s’exposer à recevoir des réponses sans concessions. Violent quand on se bat au quotidien pour apporter aux jeunes adhérents un service public de qualité.
La jeunesse est pleine de fougue. L’équipe pluridisciplinaire de la MSA Alpes du Nord, engagée dans ce projet, l’est tout autant. Avec la complicité des membres de la direction de l’établissement, ces professionnels ont relevé le défi en suivant pendant une année entière une quarantaine d’élèves du lycée. Et tous le savent bien. Ne pas poser la question, c’est fermer les yeux sur la méconnaissance que la nouvelle génération a de la MSA et sur ce que leur régime de sécurité sociale peut leur apporter au quotidien et même tout au long de la vie : des aides au logement, aux vacances, ou au permis de conduire, une prise en charge en cas de maladie, un remplacement en cas de grossesse, une prime d’activité pour les travailleurs modestes, une rente en cas d’invalidité, un engagement sur le terrain pour préserver la santé et la sécurité des agriculteurs ou encore simplement une retraite… Ne pas les informer, c’est aussi les exposer au risque du non-recours.

« On ne se rend vraiment compte de l’importance de la MSA que lorsqu’on rencontre un pépin dans sa vie », lance Chloé, élève de BTS. Elle expliqueconnaître une personne qui a perdu l’usage de ses jambesaprès un accident de tracteur, ce qui l’a obligée à changer de métier mais aussi de regard sur l’institution.
Le 7 avril, l’amphithéâtre de son établissement résonne de ses éclats de rire et de ses applaudissements comme de ceux de ses camarades de BTS analyse, conduite et stratégie de l’entreprise (ACSE), agronomie et productions végétales (APV) et production animale. La pièce clôt de façon ludique et festive l’aventure conduite depuis le début de l’année scolaire auprès de ces futurs acteurs de l’agriculture qui poursuivent leurs études sur un territoire marqué par l’élevage et la nuciculture, la production de la fameuse noix de Grenoble. Cette évocation sur scène de leur quotidien succède à un diagnostic mené au début du mois d’octobre, suivi pendant l’année scolaire d’ateliers pour répondre aux problématiques du déficit de connaissance de leurs droits et des difficultés à s’approprier les services en ligne.





La pièce résulte du double constat qui s’impose au fil des échanges : une absence de prise de conscience de l’importance qu’il y a à préserver sa propre santé et un sentiment d’invulnérabilité, associé à des conduites à risque que les adultes prêtent souvent aux adolescents. Sur scène, les étudiants donnent la réplique aux comédiens de la compagnie Globe Théâtre, une troupe spécialisée dans ce concept de cocréation avec le public. Ils ont tour à tour enfilé la cotte d’un maître de stage un peu bourru, qui peine à s’expliquer après l’accident de son apprenti et celle d’un étudiant mal dans son stage, phobique administratif qui a des problèmes d’addiction à l’alcool.
Théâtre interactif
« Le théâtre interactif a surgi dans les années 1970 au Brésil à l’époque des dictatures d’Amérique du Sud, expliqueCristine Auclère, la comédienne qui dirige la troupe. Augusto Boal, metteur en scène à l’origine de cette invention, mettait les spectateurs, principalement des paysans sans terre, en condition pour trouver les solutions pour eux-mêmes avec l’idée sous-jacente que ce n’était pas les “intellos” de la ville ou les “bobos théâtreux” qui allaient leur amener des réponses toutes faites. C’est au public de s’approprier ou pas cet outil très puissant. De spectateurs, ils deviennent “spect’acteurs” ou acteurs de leur propre vie. »
Des situations proches du quotidien sont jouées une première fois avec des personnages auxquels le public peut facilement s’identifier. Puis le scénario est rejoué et c’est à ce moment-là que les spectateurs sont invités à participer en direct au jeu théâtral et à l’intrigue, quitte à remplacer l’un des protagonistes en difficulté. Un meneur de jeu veille à la progression du débat vers les objectifs de prévention. « Le but est de chercher collectivement des solutions », poursuit Cristine Auclère.



Alors que le morceau Boomer de l’auteur compositeur interprète franco-rwandais Gaël Faye électrise la salle, Rémi est le premier “spect’acteur” à se lancer sous un tonnerre d’applaudissements. Il a quelques idées pour aider Lucas, qui semble triste à la fête, dans la saynète qui ouvre la pièce. Chloé, Louanne, Alicia et Romane affichent un large sourire de satisfaction à la sortie du spectacle. « S’il y a quelque chose qui se passe mal dans notre entreprise, on saura dorénavant comment réagir », se réjouit l’une d’elle.
En BTS production animale, elles ont entre 18 et 20 ans et se destinent à des carrières d’éleveuses, de professeurs de zootechnie [étude scientifique de l’élevage des animaux, NDLR], de techniciennes agricoles ou encore de vétérinaires.
Les auteurs ont visé juste
« On a trouvé les scènes réalistes. J’ai vécu ce genre de situations dans la vraie vie, affirme une autre. De la même façon, j’ai eu des petits soucis avec mon maître de stage et je lui ai exprimé les choses “cash” et maintenant ça va mieux. Quand je suis allée voir mon patron en lui expliquant que je voulais arrêter là, il s’est dit : “Mince… c’est sûrement plus grave que je ne pensais.” » Des mots qui retentissent comme l’assurance que les auteurs ont visé juste. La preuve aussi que la vie d’apprenti n’est pas un long fleuve tranquille.
« Mon patron estimait que mon travail était moins bien fait qu’avant alors que moi j’y ai toujours mis le même cœur. Je me suis donc demandée ce qui se passait, se souvient une autre étudiante. C’est un métier de passionnés. On a ça dans les tripes alors ce genre de phrases est difficile à entendre. On en a parlé ensemble en présence d’un professeur et de ma mère. Depuis, mon employeur fait des efforts et moi j’essaie d’en faire de mon côté et ça va mieux. Le problème est souvent la communication, ou plutôt son absence. Les gens ne se parlent pas et à un moment ça explose. » Là encore la ressemblance avec la pièce est troublante.
Les délégués impliqués
« C’est un format que j’adore, souligne Émilie Fontaine, directrice adjointe de l’établissement, qui s’est elle-même prêtée au jeu théâtral pendant la représentation. Il fonctionne bien parce que les jeunes sont actifs et vivent des émotions fortes, ne serait-ce qu’avec le rire. C’est ce qui permet de fixer les choses. Au retour en cours, sur leurs exploitations ou sur leurs lieux de stage, ils vont continuer à réfléchir. On a semé des petites graines qui germeront aujourd’hui, demain ou dans un an sur la santé-sécurité au travail, l’alcoolisme et le fonctionnement de la protection sociale ou l’importance de souscrire une mutuelle. »
1 an, c’est la durée de l’initative menée par la MSA Alpes du Nord.

« On a constaté que certains jeunes – beaucoup se sont affiliés à la sécurité sociale pour la première fois – ont été confrontés au mur administratif et à son formalisme parfois déconcertant, observe Matthieu Payer, animateur de l’échelon local à la MSA Alpes du Nord. Pour cette génération, habituée à l’instantanéité, c’est une drôle d’expérience. Beaucoup nous perçoivent uniquement comme un organisme collecteur de cotisations, une image pas toujours flatteuse qu’ils ont héritée de leurs aînés sans voir forcément toute la plus-value qu’ils peuvent recevoir en retour pour eux-mêmes et leur famille. Il y a tout un tas de clichés qu’il nous faut démonter parfois simplement en leur transmettant de l’information. Ils ne soupçonnaient pas par exemple l’existence à seulement quelques mètres de leur école d’un bureau de la MSA avec une assistante sociale et une conseillère en protection sociale à même de les recevoir et de répondre à toutes leurs interrogations. On a aussi impliqué nos délégués dans les ateliers pour donner un visage au rôle d’élu et expliquer aux jeunes que la MSA, c’est aussi cette vie mutualiste riche. On souhaite que cette aventure permette de donner des clés aux jeunes pour leur faire comprendre que notre régime est important aussi pour eux et qu’il va les accompagner à toutes les étapes de leur vie. »
45 élèves ont participé à l’expérience
« Nous allons nous appuyer sur cette expérience pour créer des outils de communication sur l’offre MSA à destination de ce public spécifique. Ils vont essaimer sur tout le territoire de la caisse, tout comme la pièce qui va tourner en Isère, en Savoie et en Haute-Savoie », explique Samlane Vongprasith, responsable communication à la MSA Alpes du Nord. Deux rendez-vous sont déjà calés auprès de la nouvelle génération d’adhérents dans deux établissements agricoles : celui de Contamine-sur-Arve en Haute-Savoie et celui de La Motte-Servolex en Savoie.
Émilie Fontaine, directrice adjointe du lycée agricole de La Côte-Saint-André.

« En tant qu’agriculteurs, ils vont devoir payer des cotisations sociales, alors quand on entend que la MSA est chère ou qu’elle ne sert à rien, c’est intéressant de travailler avec eux à la déconstruction des idées reçues. On n’imaginait pas qu’ils en avaient autant. C’est pour cela qu’on a voulu absolument passer par une phase de diagnostic. On est parti des difficultés qu’ils ont à remplir leur compte en ligne.
S’immatriculer est une nouveauté pour la plupart car ils sont couverts par la sécurité sociale de leurs parents qui ont effectué les démarches pour eux. Ils découvrent ce monde adulte de frustrations, qui a ses avantages et ses inconvénients… L’un des problèmes est qu’à chaque fois qu’on ne répond pas à leur e-mail dans les dix minutes, ils ne comprennent pas et s’impatientent.
Nous formons des professionnels, c’est certain, mais il faut aussi que nous formions des citoyens. Nous parlons notamment de laïcité avec eux mais nous travaillons aussi concrètement la façon d’entreprendre ses démarches administratives, de s’adresser à son patron ou d’échanger avec quelqu’un avec lequel on est en désaccord.
L’aspect citoyenneté existe dans tous nos diplômes. La scène que j’ai jouée est très réaliste. Les techniques de médiation que j’utilise ne résolvent pas le problème mais cela permet à chacun de s’exprimer et de passer à autre chose sans rester sur un sentiment d’injustice ou de colère. »
Laurent Piat, président de l’échelon local de la MSA territoire Bièvre Sud Grésivaudan.

« Lorsque je leur ai présenté la MSA, j’ai compris que c’était quelque chose d’abstrait pour beaucoup d’entre eux. Certains jeunes ne savaient pas qu’il s’agissait de leur sécurité sociale. Ils se sont montrés plus intéressés lorsque j’ai évoqué les aides directes au permis de conduire, les allocations logement ou la façon de déclarer un accident de travail. Ils ignoraient également qu’un réseau de délégués de proximité existe sur le terrain.
Ce sont des femmes et des hommes qui leur ressemblent, tous élus. Je leur ai expliqué qu’ils pouvaient trouver dans leur mairie une liste contenant les noms de ces bénévoles et qu’ils pouvaient les contacter et les interroger sur les problèmes qui les touchent. De cette façon, l’information remonte vers le bon service de la caisse.
Nous sommes le lien entre l’échelon local et la direction au siège social à Chambéry.
Notre vocation est d’aider les gens le plus rapidement possible. Je leur ai détaillé en quoi consiste par exemple ma mission et j’ai raconté comment j’ai accompagné un jeune agriculteur qui avait un problème de paiement de certaines cotisations.
Après mon intervention, une réponse lui a été apportée pour rééchelonner sa dette. Pour moi, cette initiative est une façon aussi de faire un appel à la nouvelle génération.
Du salarié comme moi au chef d’exploitation, en passant par les futurs employeurs de main-d’œuvre, ils pourraient nous rejoindre en devenant eux-mêmes délégués afin de faire vivre et évoluer leur régime de protection sociale, de la même manière que l’agriculture est elle-même en train de changer radicalement. »