Passer le menu et aller au contenu
Le bulletin d’information de la MSA
  • Magazines
  • Newsletter
  • Agriculture
  • Protection sociale
  • Prévention
  • Développement local
  • Santé
  • Mutualisme
  • Services
  • Agriculture
  • Protection sociale
  • Prévention
  • Développement local
  • Santé
  • Mutualisme
  • Services

Alexandre Roger
28 janvier 2022

879

Temps de lecture : 8 mn

Agriculture
La visibilité à la mode ardennaise

Fort de son succès dans les Ardennes, la longue marche vers plus de visibilité dans les fermes de France démarre sa bataille de la Marne. Gros plan sur la mobilisation de toute la profession pour concevoir ensemble des vêtements de travail visibles enfin adaptés au métier d’agriculteur. L’action a été initiée par des éleveurs, un préventeur et une ergonome de la MSA Marne Ardennes Meuse après un accident de la route qui a failli coûter la vie à un agriculteur en 2018. Explications.

#AccidentDuTravail #Sécurité #Visibilité

Les éclats de rire de Jean Schneider, 39 ans, sont communicatifs. Pourtant la joie de vivre de ce jeune éleveur a du mal à cacher sa souffrance. Lors de l’interview, elle affleure au détour d’un regard ou d’une intonation de la voix qui se brise. L’homme peine à dissimuler une profonde blessure. Aujourd’hui, debout, l’Ardennais continue de se reconstruire après un grave accident de la route.

Le 9 octobre 2018, lors d’une matinée d’automne sombre et brumeuse, il voit ses os – en même temps que son rêve de gosse de vivre de l’agriculture – se fracasser sur le bitume d’une rue de Houldizy, son village. Ce jour-là, l’automobiliste au volant aperçoit la vache que Jean Schneider tente de ramener dans son champ mais pas l’éleveur sur la chaussée.

« J’ai ouvert la barrière de la pâture et j’ai attendu que ma bête entre sans la brusquer lorsque j’ai vu une voiture arriver en sens inverse, explique-t-il. J’ai fait signe au chauffeur. J’ai cru qu’il m’avait vu. J’avais tort. La voiture a percuté ma jambe droite. J’ai tapé le capot et je suis retombé dix mètres devant. L’instant est gravé à jamais dans ma mémoire. Je peux vous assurer qu’on se sent c… quand on se retrouve par terre à ne plus pouvoir bouger, mais à ce moment-là, je pensais à ma journée de boulot qui débutait et à rien d’autre. »

Bilan : fractures multiples au poignet gauche et à la jambe droite, une hospitalisation de dix jours et un arrêt de travail de quinze mois. L’accident entraîne six opérations, une greffe osseuse, la vente de sa ferme et une reconversion professionnelle.

  • Vêtement visible élevage-Ardennes MSA securité
  • Vetement visible Ardennes
Ce n’est pas parce qu’on est à cheval sur la sécurité qu’on n’a pas le droit d’être élégant. 
Photos : Alain Lantreibecq

Tenue de camouflage

« J’ai vendu le 10 janvier 2021. Cinq jours après, je repassais sur le billard », souligne-t-il. Après un bilan de compétences, il entame une formation de technicien supérieur géomètre topographe au mois d’avril. « Il a fallu se remettre sur les bancs de l’école et être loin de la maison pendant huit mois. Ce n’était pas une mince affaire. J’ai obtenu mon diplôme le 23 décembre. » L’ancien exploitant, aujourd’hui rétabli physiquement, est à la recherche d’un emploi. Lors de son premier séjour à l’hôpital, une question revient sans cesse. Brancardiers, médecins, infirmières ont la même interrogation. Vous ne portiez pas de gilet jaune ? « En pleine crise du même nom, c’était presque devenu un gag », se souvient l’éleveur. Il leur répète à peu près à chaque fois la même réponse : « Non, je n’en portais pas pour une bonne raison, ce type de vêtements fait peur aux vaches. » Des amis qui travaillent dans les travaux publics le charrient aussi sur le sujet. « Aujourd’hui, il n’y a plus que vous – les paysans – qui ne portez pas de vêtements visibles au travail », accusent-ils.

Et lui de le reconnaître : « C’est vrai, nous sommes toujours en cotte vert foncé, presque en tenue de camouflage. » Dans la tête de l’Ardennais, une évidence s’impose petit à petit. Il faut faire quelque chose. Passer à l’action contribue aussi à la résilience.

  • La Cheppe 156-gilet-sans-manche-Sonorco
  • securité MSA Outines-gilet-sans-manche-visibles-Sonorco
  • La Cheppe gilet-sans-manche-Sonorco visibilité agriculteur portant gilets visibles dans leur étable
  • Vêtements visibles La Cheppe MSA
  • Vêtements visibles Vertus
Les vêtements collaboratifs débarquent dans les plaines de la Marne et dans les cuveries des vignerons champenois. Photos : Alain Lantreibecq

La force du collectif

C’est à ce moment-là qu’il appelle Éric Perrin, le conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Marne Ardennes Meuse en charge de son secteur. Choqués par l’accident de l’éleveur, de nombreux professionnels dont un président de Cuma prennent contact avec lui. « J’ai eu les trois coups de téléphone au même moment, je me suis dit qu’il fallait agir », se souvient-il. Puisque les fournisseurs ne proposent rien qui corresponde aux besoins des agriculteurs, il lance un pari audacieux et propose à la profession de concevoir ensemble un vêtement de travail vraiment adapté à la diversité des métiers agricoles.

Comme il avait des difficultés à se déplacer, la première réunion se déroule dans la salle communale du village de Jean Schneider. « Toutes les organisations, au sens large, du département se sont mises autour de la table », se félicite Jean-Marc Pilard, l’actuel président de la MSA Marne Ardennes Meuse. L’agriculteur céréalier dans le sud des Ardennes et membre du groupe de travail est à l’époque le président du comité de protection sociale des non-salariés de la caisse. « La force et la richesse de notre collectif composé d’une quinzaine de personnes est de mélanger des cultivateurs et des éleveurs avec des responsables de sécurité des organismes professionnels. » Banque, assurance, Cuma, coopératives, syndicats, chambre d’agriculture, ils ont tous accepté de se retrouver pour réfléchir ensemble.

10 %

Des fermes ardennaises équipées.

Les réunions, coanimées par Éric Perrin et Clémence Blin, ergonome, s’échelonnent entre février et août 2019 et aboutissent à un cahier des charges précis destiné à être présenté à des équipementiers. « L’intervention d’une ergonome a permis, après une analyse de nos besoins, de créer des vêtements vraiment adaptés à la réalité de la profession », souligne le conseiller en prévention.

But : ne pas effrayer le bétail

Résultat : « Ils sont conçus par et pour nous, et répondent à la diversité de nos activités », se félicite Jean Schneider. Les couleurs ont aussi été choisies avec soin, le rouge préféré au jaune qui attire les insectes, et la couleur orange trop marquée travaux publics a été adoucie. Le principe des bandes rétroréfléchissantes hachurées, sur le modèle des bobbies britanniques, a été retenu. Le but : ne pas effrayer le bétail. « Le bruit généré par le tissu du vêtement et sa couleur ont fait l’objet de discussions, souligne Éric Perrin. Les animaux sont apeurés par la nouveauté, de même que par le bruit, les vêtements qui flottent et le mouvement comme celui provoqué par les gilets jaunes que l’on trouve dans les voitures. » L’expertise précieuse d’un technicien bovin croissance formé à l’institut de l’élevage, spécialiste de la perception qu’ont les bêtes de leur environnement, dans le groupe de travail, a évité certains écueils.

Un modèle féminin

Deux industriels français sur les cinq contactés acceptent de relever le défi et formulent une proposition pour une combinaison et deux gilets de travail. Le critère du made in France, inscrit au cahier des charges, n’est qu’en partie gagné. Si les entreprises et le tissu sont français, le montage est, lui, effectué en Tunisie. La campagne de communication est lancée lors de la foire agricole de Sedan de 2019 avec un seul et unique prototype. Une plaquette est adressée à tous les agriculteurs du département.

Innovation 2022, pour cette campagne qui débute actuellement dans la Marne, un nouvel équipementier a rejoint l’aventure en proposant un modèle féminin qui manquait jusque-là. « On souhaite que l’ensemble de la gamme intègre le catalogue des fournisseurs pour pérenniser cette offre au fil des années. C’était aussi une volonté du groupe », explique le conseiller. Combinaisons et gilets sans manches sont disponibles dans tous les départements, mais avec une démarche d’accompagnement forte des organisations professionnelles dans la Marne où l’on apercevra bientôt de loin les vêtements collaboratifs dans le vignoble champenois et dans les plaines agricoles de cultures et d’élevages, où l’utilisation d’enjambeurs et de chariots élévateurs est source de danger. La même chose sera organisée dans la Meuse dans un deuxième temps.

24 euros

C’est le montant de la participation financière des OPA ardennaises pour chaque vêtement.

« Les structures professionnelles passent le message auprès de leurs adhérents qu’il est important d’être visible dans nos fermes. Ce travail d’explication de terrain est un atout majeur, insiste Éric Perrin. Si la MSA avait proposé seule ces vêtements, ils n’auraient pas forcément remporté le même succès. Même si nous avons assuré l’appui et l’animation administrative, ce n’est pas le vêtement de la MSA mais celui de la profession. C’est aussi pour cela que vous ne trouverez aucun logo dessus. » Ce qui n’a pas empêché les organisations professionnelles parties prenantes dans les Ardennes de mettre la main à la poche en décidant de participer à hauteur de 24 euros pour financer chaque vêtement et de rester ainsi en dessous de la barre fatidique des 50 euros.

« La bonne surprise, c’est que les acheteurs de la première vague repassent commande.»

Eric Perrin, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Marne Ardennes Meuse.

« J’ai recroisé d’anciens collègues qui viennent de se rééquiper entièrement, se réjouit Jean Schneider. C’est bien la preuve que les modèles plaisent et répondent à leurs besoins. L’important est qu’ils deviennent leur tenue de travail et pas la chose qu’on enfile au dernier moment quand on a un problème, car ce genre d’équipement reste caché quelque part au fond de la boîte à gants. »

« La bonne surprise, c’est que les acheteurs de la première vague repassent commande, confirme Éric Perrin. Ce renouvellement deux ans après prouve qu’ils sont satisfaits du produit. Le fait d’avoir travaillé avec des équipementiers professionnels a permis d’offrir des vêtements non seulement esthétiques mais aussi visibles, chauds, pratiques, avec des poches qui ferment, et qui résistent dans la durée. » Jusqu’à présent, 1 100 pièces ont été acquises par 270 exploitations, soit 10 % des fermes ardennaises sur les 2 800 que compte le département. « Le fait qu’ils soient beaux peut paraître anecdotique mais fait partie de l’acception. On ne voulait surtout pas ressembler à un épouvantail au milieu d’un champ », sourit Jean- Marc Pilard. Sur ce point aussi le pari est gagné.

L’autre bonne nouvelle est qu’un premier lycée agricole des Ardennes vient de s’équiper, car la prévention passe par la jeune génération. « Ils vont pouvoir grandir avec, se félicite Éric Perrin, et ne se poseront plus la question et puis, qui sait, certains convaincront peut-être leurs parents de l’importance de ce combat pour pour plus de visibilité dans nos fermes. »

Éric Perrin, conseiller en prévention à la MSA Marne Ardennes Meuse

Éric Perrin, conseiller en prévention à la MSA Marne Ardennes Meuse.

« La présence d’une ergonome dès le départ a permis au groupe de travail de ne pas partir dans tous les sens.

Nous avons démarré à partir d’une feuille blanche pour aboutir à un projet bien construit en suivant les étapes et la rigueur qu’implique l’ergonomie de conception. La diversité des profils des cinq agriculteurs participants a été précieuse dans la création des vêtements, qui s’est déroulée en trois phases et selon des questions de type : qu’est-ce que je mets pour travailler ? Dans quelles circonstances suis-je visible ? Quand ne le suis-je pas ? Quelles qualités je voudrais retrouver dans le nouvel équipement ?

Il n’y avait pas d’offre spécifique pour agriculteur dans le catalogue des fabricants. Ils nous proposent uniquement des vêtements de travaux publics mais qui ne sont pas adaptés à nos besoins car trop visibles et qui effraient les animaux. C’est par exemple la combinaison de travail orange ou toute jaune dont les employés des sociétés d’autoroutes sont équipés. L’idée est que les travailleurs agricoles la mettent le matin sans y penser tout en se démarquant des autres professions et soient visibles.

Mais le vêtement n’est pas la fin de l’histoire. Pour ceux qui ont voulu aller plus loin, on a aussi pu réfléchir à des aménagements de visibilité dans les bâtiments et à équiper certains engins de dispositifs de détection supplémentaires. Même si le vêtement visible était le plus facilement diffusable pour apporter la bonne parole de prévention, parler de cette problématique engin/piéton et des moyens de prévention possibles à mettre en œuvre. »

Jean-Marc Pilard, président de la MSA Marne Ardennes Meuse.

Jean-Marc Pilard, président de la MSA Marne Ardennes Meuse

« L’opération d’abord menée dans les Ardennes et qui se déploie aujourd’hui dans la Marne et bientôt dans la Meuse est exemplaire. C’est presque un cas d’école et cela démontre que le monde agricole au sens large produit de belles choses quand tous travaillent main dans la main. Bien sûr, ce n’est pas simple d’amener certains exploitants à porter des vêtements réfléchissants. On peut aussi trouver dommage que seulement 10 % des agriculteurs ardennais se soient équipés, mais une montagne se gravit pas à pas.

Changer les mentalités prend du temps. Dans nos exploitations, nous nous sommes tous fait peur à un moment ou à un autre en mettant en danger quelqu’un qui se trouvait à proximité du tracteur ou du télescopique et qu’on n’avait pas vu. C’est vrai qu’avec ces vêtements, au moins, on nous voit. Je les ai moi-même adoptés au quotidien.

Pour la première opération, c’est la MSA qui a assuré toute la logistique. Mais depuis le lancement marnais, on peut dorénavant les commander directement auprès des distributeurs. À l’image de ce qui s’est passé dans les Ardennes, les organisations professionnelles du département qui étaient en demande sont associées car la sécurité est l’affaire de tous. En communicant ensemble, le message de la prévention et de l’importance d’être visible au travail a plus de chance de passer. »

Plus d’infos ici

Photo d’ouverture : Aurélien Laudy

Les plus consultés

  • Le Dorat, capitale du mouton
    Mondial de la tonte et de la prévention
  • Semeurs du possible (2/2)
    On est bien chez Lorette… et Éric
  • Handicap psychique
    "Le travail à la ferme est notre thérapie"
  • Innovations
    La technologie au service des travailleurs
  • Dossier
    Les campagnes ont de l’avenir

à découvrir

Prévention

Marne Ardennes Meuse
Culturales : l’innovation au cœur du salon

Du 15 au 17 juin, la MSA Marne Ardennes Meuse a participé à la 15e édition des Culturales à Bétheny, dans la Marne. Situé sur…

Développement local

Familles ardennaises
22 Vla la charte !

Avec un peu d’imagination pour s’adapter au contexte sanitaire, l’équipe en charge de la charte pour les familles des 22…

Agriculture

Ardennes
Je cultive ma sécurité et ça se voit

Une quinzaine d'organisations professionnelles des Ardennes a travaillé main dans la main avec la MSA Marne Ardennes Meuse pour…

Agriculture

Innovation
Lapin malin

Un chariot, pensé par eux et pour eux : Isabelle, Catherine, Alice et Sébastien, éleveurs de lapins dans la Marne, en ont…

Santé

Détection de la crise suicidaire
Les sentinelles
en formation

Bien sûr, il existe une ligne dédiée au monde agricole et rural, Agri’écoute : 09 69 39 29 19, et un numéro national de…

Agriculture

Grippe aviaire
Les éleveurs avicoles dans l’enfer de l’épizootie

Plus de 4,6 millions de volailles ont été euthanasiées en France depuis l’été 2022. Benoit Lemaître, 35 ans, éleveur de…

Agriculture

Grippe aviaire
Benoit Lemaître, éleveur : « On n’en voit pas le bout »

Benoit Lemaître a fait des études en lycée agricole. D’abord ouvrier, puis responsable de site, il s’est ensuite installé…

Le bulletin d’information de la MSA
msa.fr
  • Qui sommes-nous ?
  • Mentions légales
  • Gestion des cookies
  • Contact
  • © MSA